Remarque: ce résumé d'article a été écrit par un étudiant ou un enseignant du DEPARTEMENT DE MEDECINE GENERALE DE PARIS 7. Il est en accès libre. La rédaction des résumés est faite dans le cadre de la REVUE DE PRESSE du DMG.
La crise mondiale se développant depuis 2007 atteint une ampleur inédite depuis la seconde guerre mondiale , après avoir débuté dans le secteur du crédit immobilier, elle s´est répercutée dans toutes l´économie, avec une baisse (voire une négativation) du PIB et une augmentation du chômage dans de nombreux pays industrialisés.
Malgré de très légers signes d´une possible amélioration à venir, il est évident que cette crise a causé des dégâts économiques très importants, dont les effets se feront sentir bien après la crise proprement dite. C´est pourquoi de nombreuses inquiétudes ont émergé quand à la possibilité d´une dégradation du contrôle des maladies infectieuses, liée aux contraintes budgétaires et aux effets sociaux de la récession (par exemple coupes budgétaires faisant risquer des ruptures de soins et l´augmentation des résistances , augmentation de la contagion au travail lié au refus ou l´impossibilité d´avoir des congés maladie).
En Europe, l´épidémiologie des maladies infectieuses dans les pays de l´ex-URSS après le démantèlement de celle-ci est un exemple important de lien entre récession et dégradation du contrôle de ces maladies : la chute du PIB de 30% en moyenne a précédé une augmentation de l’incidence, de la prévalence et de la mortalité de la tuberculose, ainsi que l´émergence de souches résistantes , augmentation de la prévalence et de l´incidence du VIH , épidémies de diphtérie, d´encéphalite à tique et de leptospirose. Ces effets délétères peuvent se faire sentir longtemps après la crise : aujourd´hui certains de ces pays d´Europe de l´Est et de l´ex-URSS n´ont pas réussi à stopper ou inverser l´extension de la tuberculose ou du VIH.
Par ailleurs, même en l´absence de crise économique, certains groupes sociaux sont plus vulnérables aux maladies infectieuses , cet effet est documenté dans l´ensemble des pays de l´union européenne (notamment un lien flagrant entre niveau de vie et risque de tuberculose).
Afin d´éclairer les relations existantes entre crises économiques et maladies infectieuses, les auteurs ont donc entrepris une revue de la littérature des études évaluant l´impact de crises économiques sur les maladies infectieuses.
Les auteurs soulignent d´emblée la difficulté de la tâche : chaque situation étudiée a des caractéristiques propres qu´il est hasardeux de généraliser sans en détailler les déterminants , les niveaux de risques sont dynamiques et complexes , les politiques entreprises dépendent du corps social auquel elles s´appliquent et peuvent être « rétro-contrôlées » par lui , les effets constatés sont spécifiques d´une maladie , le délai entre la crise économiques et ses conséquences sanitaires peut être très long, rendant difficile l´imputation de causalité.
Ils précisent également qu’il était impossible pour ce travail d’utiliser les outils statistiques usuels des méta-analyses, et qu’ils se sont donc attachés à analyser les situations décrites dans les études retenues.
Les auteurs ont choisi d´utiliser le modèle SIR (susceptible-infected-removed). Ce modèle décrit la progression d´une maladie infectieuse en définissant la population qui est susceptible d´être infectée, celle qui est infectée, et celle qui guérie et immunisée (ou décédée). Le passage de « S » à « I » (= « taux de transmission ») dépend de la transmissibilité de la maladie et du niveau de contact entre les personnes « S » et « I ». Le passage de « I » à « R » (= « taux de guérison ») dépend des caractéristiques de la maladie et dans une certaine mesure de l´accès à un traitement. Les taux de passages de « S » à « I » à « R » déterminent l´évolution d´une épidémie de maladie infectieuse. Ce modèle est utilisé comme cadre pour l´analyse et la discussion, et non pour décrire l´histoire naturelle d´une maladie.
Pour illustrer l´intérêt de ce modèle, les auteurs prennent l´exemple des pays de l´ex-URSS au début des années 1990. On peut en effet décrire les éléments ayant favoriser le passage de « S » à « I » : en augmentant les contacts (augmentation des incarcérations pour la tuberculose), ou la fragilité de certains sous-groupes (la dégradation des conditions de vie favorise les conduites à risque – alcool, tabac, autres toxiques – et la malnutrition, qui sont tous des facteurs favorisant pour les maladies infectieuses). Les coupes budgétaires et les migrations économiques participent à diminuer l´accès au soins (arrêt des traitement, patients perdus de vue), diminuant le passage de « I » à « R ».
Dans cette étude, le modèle est utilisé pour comprendre quels sont facteurs liés à une crise économique qui peuvent aggraver ou créer un problème sanitaire dans le domaine des maladies infectieuses, et d’analyser leur importance respective dans chaque contexte afin de pouvoir proposer des mesures concrètes à l’avenir. Les auteurs ont donc restreints le cadre de cette étude aux pays de moyens et hauts revenus (selon la définition de la banque mondiale), les problématiques des pays à bas revenus étant souvent très différentes, notamment en raison de la faiblesse des systèmes de santé.
Les principales bases de données, ainsi que la littérature grise, ont été exploitées avec des critères extrêmement large : n’importe quelle combinaison de maladie « infectieuse » ou « transmissible » avec n’importe quel synonyme de « crise financière » (une discussion extensive des critères retenus pour qualifier une situation de « crise » est menée dans l’article).
Les auteurs ont ensuite réalisé ont synthèse narrative de chaque étude retenue. Le critère de jugement principal était ordinal : ils ont noté si les auteurs des études retenues concluaient à une augmentation, une stabilité ou une diminution de la prévalence, l’incidence et/ou la mortalité d’une ou plusieurs maladies infectieuses.
Sur les 37 études retenues, 30 retrouvaient un effet délétère d’une crise économique, avec augmentation de l’incidence ou de la mortalité d’une ou plusieurs maladies infectieuses. Les 7 autres retrouvaient une amélioration, ou une absence d’effet significatif. Les auteurs relèvent que certaines situations dégradées sur le plan sanitaire aboutissent à des effets « bénéfiques pour le long-terme », le plus souvent en mobilisant les populations pour obtenir une amélioration de leur système de santé (l’exemple donné est celui du Mexique au début des années 2000, après la crise de 1994-1995).
Les pathologies à transmission interhumaine, comme la tuberculose, sont favorisées par la surpopulation carcérale, elle-même induite par l’augmentation de la criminalité corrélée à celle de la pauvreté en période de crise économique.
Des infections collectives peuvent survenir lorsque les circuits de distribution d’eau ne sont plus entretenus (exemple de l’Ouzbékistan après la chute de l’URSS).
Les modifications environnementales liées à la crise économiques peuvent créer les conditions propices à la multiplication de vecteurs de maladies transmissibles (West Nile Virus propagé et moustiques profitant des piscines des maisons abandonnées de la crise des subprimes en Californie , épidémie de tularémie propagée par des rongeurs proliférant grâce aux réserves de nourriture abandonnées du Kosovo en 1999-2000).
Les diminutions de revenu, le chômage et le travail précaires semblent augmenter le tabagisme, la consommation d’alcool et l’abus de substances, qui dégradent tous l’immunité. Dans les pays n’ayant pas procédé à des distributions de nourritures, la malnutrition a aussi pu être un facteur dégradant l’immunité et participant à l’émergence ou à la propagation de maladies transmissibles.
Les données examinées montraient une diminution de la disponibilité et de l’efficacité des traitements. Les délais d’initiation d’un traitement étaient liés à une détection plus tardive ou une latence plus longue après le diagnostic. Une diminution de l’observance, ainsi que le développement de résistance étaient également retrouvés dans les suites d’une crise économique. La seule donnée augmentant le passage de « I » à « R » était une augmentation de la mortalité …
Ces données sont dues, selon les auteurs, aux coupes budgétaires diminuant l’offre de soins, ainsi qu’aux difficultés d’accès à cette offre lorsqu’elle subsiste, notamment pour les populations les plus pauvres et/ou dans les systèmes de soins ayant la couverture la plus réduite (notamment aux USA). Les auteurs notent ainsi que les pays « bénéficiaires » de prêts du FMI, conditionnés par des mesures austéritaires importantes, ont vu leurs dépenses de santé réduites de 7.5% (avec une baisse du nombre de médecin par habitant en même proportion), et corrélativement la prévalence, l´incidence et la mortalité de la tuberculose augmentées 13,9%, 13,3% et 16,6% respectivement.
Les auteurs soulignent que les crises économiques étudiées ont augmenté les effectifs de certains groupe à haut risque de contracter une maladie infectieuse, aux premiers rangs desquels on retrouve les personnes très pauvres et les sans abri, les migrants et les prisonniers. Ces groupes, parce qu´il sont exposés à des multiples facteurs de risques déjà explicités (promiscuité, moindre accès aux soins, immunité dégradée) ont tous été impactés de façon plus importante lors des épidémies étudiées, et ont souvent constitué un réservoir de pathogène avec un retentissement en population générale (population dont il représentaient une portion plus ou moins importante, parfois très significative).
Enfin, la diminution de l´accès au soin a également augmenté la proportion non vaccinée de la population, qui est également un groupe à sur-risque de maladie transmissible (cette dégradation de la couverture vaccinale a été à l´origine notamment d´une épidémie de diphtérie dans les pays de l´ex-URSS).
Plusieurs limites de cette études sont à noter : premièrement, l´hétérogénéité des études retrouvées n´a pas permis de pooler les résultats pour utiliser les méthodes standard de méta-analyse quantitative. Ensuite, les études retenues ont pu ne pas tenir compte de certaines données, et ne pas rapporter certains effets des crises économiques, notamment à long terme. Enfin, malgré l´exhaustivité de la recherche bibliographique, un biais de publication est possible.
Néanmoins, analysées au travers du modèle SIR, les données colligées permettent de dégager les éléments qui, dans certains contextes économiques brutalement dégradés, favorisent l´émergence et/ou la diffusion de maladies transmissibles. Ces éléments doivent être pris en compte dans la gestion des crises présentes et futures , les auteurs font références au cas de la Grèce, où l´on assiste à une augmentation rapide des cas de paludisme et de tuberculose (ainsi que du taux de dépression et de suicide).
Une étude passionnante, mais difficile à lire car elle ne livre aucun résultat chiffré, ni aucun critère de jugement principal. Elle analyse des situations sanitaires en lien avec des crises économiques, et ses résultats sont des ´récits´ analysés avec le modèle SIR, permettant de dégager des clés pour comprendre comment des déterminants économiques impact directement ou indirectement le contrôle des maladies transmissibles. Cette méthodologie singulière, qui fait la force de cet article, en fait aussi sa faiblesse : outre qu´elle est d´abord difficile, elle livre des résultats nuancés et multiples qui peuvent être difficiles à exploiter.
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